Dans un contexte où les inégalités de genre persistent et où les droits des femmes sont souvent bafoués, les mouvements féministes en Afrique francophone apparaissent comme des acteurs essentiels du changement social. Cependant, ces mouvements, qui s’efforcent de combattre la violence, de promouvoir l’égalité et de défendre les droits des femmes, se heurtent à des obstacles considérables liés à l’accès à des financements adéquats, ce qui limite leur impact. C’est dans ce cadre que, le 2 décembre 2024 à Bangkok, un déjeuner organisé par AWDF en partenariat avec Fondation for a just society (FJS) a réuni des organisations féministes et des bailleurs de fonds afin de faire un état des lieux de la situation et discuter des priorités pour le financement des mouvements féministes en Afrique francophone. Au-delà de l’analyse des enjeux et défis actuels, cette session a permis d’identifier des pistes de solutions pour renforcer le soutien aux initiatives féministes dans la région francophone.
Les enjeux sociaux et législatifs énoncés par les mouvements féministes
Au cours de la discussion, plusieurs enjeux socioculturels et législatifs ont été énoncés par les mouvements féministes et les responsables d’organisations féministes. Ces enjeux limitent leurs capacités à mener à bien leurs initiatives. Au Burkina Faso par exemple, une étude réalisée en 2017 sur la santé mentale des populations révèle que les femmes souffrent de troubles mentaux à un taux de 46,24 % contre 35,1 % chez les hommes. De plus, le taux de suicide est plus élevé chez les femmes (0,95 %) que chez les hommes (0,18 %). Cependant, il existe une absence de ressources pour la santé mentale des femmes et un manque de personnel qualifié pour prendre en charge ces femmes en détresse. Une responsable d’une organisation dédiée à la santé mentale des filles et des femmes au Burkina Faso souligne également le manque de données nécessaires pour mener des plaidoyers efficaces auprès des gouvernements. Au Cameroun, l’accès à l’éducation pour les femmes en situation de handicap est pareillement un enjeu majeur. Cela contribue à leur précarité et à leur exclusion de la vie politique et sociale Un autre enjeu majeur soulevé est la marginalisation des fonds, les mouvements féministes anglophones bénéficiant de subventions plus conséquentes que leurs homologues francophones, en raison de la barrière linguistique.
Les mouvements féministes francophones sont confrontés à plusieurs défis qui entravent leur efficacité. Un des défis majeurs énoncés par les mouvements est la conditionnalité des bailleurs de fonds, qui impose des critères stricts, souvent inadaptés aux réalités des pays francophones. De plus, la durée limitée des financements constitue aussi un autre défi. Les subventions sont fréquemment allouées sur des périodes trop courtes, ce qui empêche les organisations de planifier des actions à long terme. En plus de cela, ils doivent aussi faire face à une barrière linguistique importante : de nombreux appels à subventions sont rédigés en anglais, rendant leur accès difficile pour les organisations qui ne maîtrisent pas cette langue.
En outre, un autre défi important est l’invisibilisation des réalités des pays francophones. Les financements sont souvent basés sur des priorités anglophones, ce qui fait que les problématiques spécifiques aux pays francophones sont négligées. Par ailleurs, les critères d’enregistrement exigés par certains bailleurs de fonds sont parfois trop stricts et ne prennent pas en compte la diversité des organisations féministes locales. Enfin, les contraintes socioculturelles, notamment la montée de la militarisation dans certains pays comme le Mali, le Burkina-Faso et le Niger ainsi que la suppression des ministères des Droits des femmes, compliquent encore davantage la mise en œuvre des programmes féministes. Dans toute l’Afrique francophone, la situation est particulièrement alarmante, comme le souligne une lettre intitulée “Survivre n’est pas vivre”, rédigée par Awa Fall Diop, une figure de proue du mouvement féministe en Afrique francophone, adressée aux bailleurs de fonds. Elle y dénonce la précarité croissante des jeunes filles et des femmes, ainsi que les difficultés auxquelles sont confrontés les mouvements féministes, principalement dues à l’insuffisance de financements adaptés.
Face à ces enjeux et défis, les mouvements féministes ont formulé au cours de la session plusieurs demandes pour améliorer leur soutien financier et renforcer leurs impacts. Une des propositions a été de mettre en place des collectes de fonds pour les Africaines, par les Africaines, afin de renforcer l’autonomie financière des mouvements féministes et de préserver leur dignité. Les leaders féministes ont insisté également sur la nécessité pour les bailleurs de fonds de construire des équipes francophones et de garantir une justice linguistique pour assurer l’inclusion des organisations francophones dans les appels à subventions.
Il a été aussi demandé aux bailleurs de renforcer les capacités des organisations en fournissant des subventions pour leurs pérennisations. Ces financements doivent être alloués sur des périodes plus longues (par exemple, cinq ans) pour permettre aux mouvements de maintenir un travail continu. De plus, il a été demandé aux bailleurs de faire preuve de flexibilité quant aux critères d’octroi des subventions, car la durée limitée des financements empêche souvent le démarrage effectif des projets. Un autre point soulevé, concerne l’inclusion des femmes handicapées dans le processus de financement, avec des exigences précises, telles que l’inclusion d’au moins un cinquième des femmes handicapées dans les programmes. Enfin, il a été recommandé d’inclure les besoins en santé mentale des femmes dans les priorités des bailleurs de fonds, un domaine encore largement ignoré.
Lors des échanges et des discussions, une participante a également interpellé les bailleurs en leur posant la question suivante : “Financent-ils réellement des mouvements féministes, ou des mouvements qui se disent féministes ?” Cette question faisait écho à la réalité selon laquelle certains grands mouvements féministes, déjà bien financés, bloquent l’accès aux subventions pour des mouvements plus petits qui pourraient être plus en phase avec les besoins réels des femmes.
En conclusion, les mouvements féministes en Afrique de l’Ouest francophone sont confrontés à des obstacles multiples, tant sur le plan social que financier. Les enjeux sociaux et législatifs sont considérables, notamment en matière de santé mentale, d’accès à l’éducation et de législation discriminatoire. Les défis financiers sont, eux aussi, importants : les bailleurs de fonds imposent des critères restrictifs, des financements de courte durée et une barrière linguistique majeure. Toutefois, les demandes des mouvements féministes, telles que l’octroi de financements flexibles, la prise en compte des réalités locales et l’inclusion des femmes handicapées et de la santé mentale dans les priorités de financement, peuvent contribuer à renforcer l’efficacité de ces initiatives. Pour qu’un véritable changement ait lieu, il est nécessaire de créer une collaboration plus étroite entre les gouvernements, les bailleurs de fonds, les ONG et les communautés locales. En fournissant un soutien financier durable et adapté, les bailleurs de fonds peuvent jouer un rôle clé dans l’avancement des droits des femmes et de l’égalité des genres en Afrique francophone. Cela permettra de renforcer les mouvements féministes et d’assurer un avenir plus équitable pour toutes les femmes de la région francophone.
écrit par Pacifique Doriane Sognonvi